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mardi 6 juillet 2010

Sanofi-Aventis : la pilule amère

Enquête

Le labo français externalise sa recherche et développement via des crédits d’impôt.



Le logo du groupe pharmaceutique français Sanofi-Aventis

Le logo du groupe pharmaceutique français Sanofi-Aventis (AFP John Macdougall)

Du profit ? 7,8 milliards d’euros en 2009. Mais des économies ? Toujours plus : 2 milliards. Et de l’emploi à la trappe ? 3 000, selon la CGT, dont 1 300 chercheurs. Sanofi-Aventis, ou le contre-exemple d’une politique d’attractivité défendue par le gouvernement pour défendre l’emploi à haute valeur ajouté ? La question se pose. Comme celle du nouveau métier des laboratoires pharmaceutiques. «Ce n’est plus de faire de la recherche ni de fabriquer des médicaments, s’exclame Claude Le Pen, économiste à l’université Paris Dauphine, mais d’identifier les besoins de santé non couverts et de trouver des start-up, des firmes de biotechnologies pour le faire.» Et de multiplier les restructurations tout en affichant des profits exceptionnels. Cynisme ? «Le business du médicament n’a rien de moral ou d’éthique. C’est dégager du profit et tenter d’anticiper l’avenir.»Tout en n’insultant pas le présent. La preuve : Sanofi a ainsi engrangé un milliard d’euros de bénéfices sur les vaccins antigrippe…

«C’est un mouvement de fond, note un expert. Tous dénoncent l’impact des génériques qui rogneraient jusqu’à 20% de leur business.» Tous anticipent l’expiration de brevets et des droits de propriété intellectuelle qui protégeaient leurs blockbusters, ces pilules profitables en milliards de dollars. Tous s’alarment de la volonté des Etats de rogner sur leurs dépenses de santé. Tous ferment des postes pour garder ouvert les mannes des profits. A ce jeu, Sanofi n’est pas le premier. Il suit le mouvement.

Sans ordonnance. Le numéro 1 américain Pfizer a dégagé un bénéfice de 8,63 milliards de dollars (6,28 milliards d’euros) l’an passé ? Il entend «réduire ses coûts» de 4 à 5 milliards de dollars d’ici à 2012 et donc tailler dans les effectifs. Le britannique GlaxoSmithKline (GSK), malgré une hausse de 66% de son bénéfice au 4e trimestre, idem. Le labo entend supprimer encore 4 000 postes. L’anglo-suédois AstraZeneca vient d’annoncer une restructuration de 8 000 postes d’ici à 2014. Etc.

Comme le résume Pierre-Yves Geoffard, économiste au CNRS : «L’industrie, qui était une industrie de rente basée sur la production de masse de médicaments à faibles coûts de production - mais à très forts coûts de recherche et développement et de marketing - est en train de changer. Et cherche à se diversifier.»

Se diversifier sur les marchés émergents et dans les produits de santé de grande consommation, comme veut le faire Sanofi, qui entend devenir le numéro 4 mondial du marché du médicament sans ordonnance, passe alors par une réduction des coûts dans les pays… riches. C’est là que Sanofi se singularise un peu de ses concurrents. Certes, comme les autres, après avoir «taillé dans les forces promotionnelles, les visiteurs médicaux», il s’attaque à la recherche et développement (R&D). «Sanofi a très mal vécu le fiasco de sa pilule anti-obésité Accomplia», note un employé en interne. Arrivé il y a quatorze mois - avec prime d’arrivée, parachute doré et retraite chapeau - au poste de directeur général de Sanofi-Aventis, Chris Viehbacher, transfuge de GSK Etats-Unis, a décidé de faire le ménage. «Il a cassé la R&D en interne, raconte Pascal Delmas, syndicaliste CFDT. Expliqué que nos projets n’étaient pas bons et qu’il fallait le reconstruire autrement, en faisant appel à des compétences extérieures.»

Longtemps, les laboratoires pharmaceutiques ont mis en avant leur R&D pour justifier leur propriété intellectuelle et le coût parfois exorbitant de leurs pilules. Période révolue. «3 000 emplois sont supprimés, dont 1 300 en recherche, soit plus de 10% du potentiel national de recherche de toute l’industrie pharmaceutique», dénoncent les syndicats dans un courrier à l’Elysée. Dans le même temps, Sanofi va externaliser. A coups de partenariats public-privé favorisés par différents dispositifs, dont le crédit d’impôt recherche, «qui a permis à la boîte de bénéficier en 2008 de 25 millions d’exonérations fiscales», dénonçait la CGT il y a cinq mois. Depuis, la direction assure qu’elle discute avec l’Inserm pour un partenariat de 50 millions d’euros ; ou met 25 millions dans un fonds de biotechnologie détenu par l’Etat. Mieux, selon Chris Viehbacher : «On va investir 2 milliards en R&D en France.»

Parallèlement, le 1er février, 900 chercheurs «volontaires au départ» ont quitté Sanofi…

«Effet pervers».«Il n’y a aucune commune mesure entre le coût des recherches externes (biotechs et académiques), qui bénéficient des aides publiques et gouvernementales, et celles internes où nous prenons tout en charge», aurait reconnu le patron de la R&D de Sanofi. L’économiste Philippe Askenazy s’interroge sur, l’«effet pervers du crédit d’impôt recherche : les partenariats public-privé amènent ces labos à supprimer des chercheurs en interne et détournent le public de la recherche fondamentale». Rapporteur de la Commission sur le grand emprunt, Olivier Ferrand, du think tank Terra Nova, se souvient : «On a parlé de Sanofi. Le gouvernement cherchait à favoriser ces "fertilisations croisées" entre labos publics et entreprises privées.» Mais il n’avait pas prévu que «Sanofi profite de ce dispositif pour alléger sa R&D en interne». Pour lui, la cause est entendue : «D’accord pour augmenter l’attractivité de la France mais pas au prix de faire payer la recherche privée par nos impôts.» Le Pen se veut pragmatique. Ou fataliste : «Crédit d’impôt recherche ou pas, Sanofi aurait eu la même stratégie…»


Par CHRISTOPHE ALIX, CHRISTIAN LOSSON Source: Libération.fr

Yali N'GBE


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